Editorial
Joseph Reichlen, patrimoine cantonal
C’est en 1996 que j’ai découvert Joseph Reichlen. Alors étudiante en histoire de l’art à l’Université de Fribourg, j’avais suivi des cours sur l’art roman, les cathédrales gothiques, les grands maîtres de la Renaissance, le Siècle d’or de la peinture espagnole, la naissance du tableau ou encore les églises et mosaïques de la Byzance médiévale.
Pour achever ce cursus, je souhaitais pourtant me pencher sur une thématique fribourgeoise. L’idée soufflée par Marie-Thérèse Torche-Julmy, alors collaboratrice au Service des biens culturels me plut. À ce moment-là, la peinture de la fin du XIXe siècle n’était pas au goût du jour, depuis longtemps détrônée par des courants picturaux plus expressifs et, de fait, peu étudiée. Une année après l’achèvement de mon mémoire de licence, une grande exposition, La peinture suisse entre réalisme et idéal, organisée par le Musée d’art et d’histoire de Genève en 1998, honorait enfin les peintres helvétiques. Pourtant, Joseph Reichlen n’en faisait pas partie.
Les archives conservées au Musée gruérien, celles en mains familiales, corroborées par les sources de la presse écrite, permettent de retracer précisément la vie de Joseph Reichlen. Né en Gruyère, il s’émerveille de la contrée qui l’entoure. Bien que d’un milieu modeste, il parvient à suivre les formations nécessaires pour embrasser une carrière de dessinateur, puis de peintre. Amoureux des traditions populaires et soucieux de les conserver, il se lance dès 1869, avec le mensuel Le Chamois, dans une aventure éditoriale qui vise à collecter le patrimoine culturel immatériel. Ce travail minutieux d’historien est comparable à la démarche des architectes Heimatstil actifs durant la même période: patriotique et régionaliste. Dans la préface de sa Gruyère Illustrée, recueil de poèmes, chants et coraules, Reichlen écrit: «Ne laissons pas tomber dans l’oubli les œuvres des temps passés; elles sont comme un écho de tout ce qui faisait partie de la vie de nos aïeux.» Ce pan important de la vie du peintre mériterait, à lui seul, une étude.
Les auteurs de la présente publication mettent en relief la carrière artistique de Reichlen, dans un canton partagé entre tradition et modernisme. Personnalité marquante, étonnante et intellectuelle de la Belle Époque, l’artiste lègue aux Fribourgeois plusieurs centaines d’écrits, lithographies, dessins et tableaux, avant de s’éteindre peu avant l’avènement du premier conflit mondial.
Sylvie Genoud Jungo