Editorial
Le récit d’un fonds photographique professionnel permet de se jouer du temps, d’observer une société et son milieu depuis la lorgnette d’un auteur et de ses mandats. Si l’on ne tombe pas dans les travers d’un regard passéiste, l’étude de supports de souvenirs régionaux ou familiaux peut, dans certains cas et au fil du temps, trouver une place dans la mémoire collective. À l’image d’un bon vin, il arrive qu’un cliché prenne de la valeur au fil des ans. Le sens et l’impact de celui-ci peuvent alors augmenter à mesure des mutations de la société et de son environnement. Si la valeur documentaire d’un fonds photographique ne cesse d’évoluer, il reste difficile à quantifier lors de sa création, puisqu’en interdépendance perpétuelle avec le présent auquel il se compare.
Il est rare qu’une image seule soit suffisamment probante, mais associée à d’autres, elle forme une série où un récit historique apparaît. Un passé ressurgit avec, dans le meilleur des cas, un angle inédit autorisant une lecture différente ou surprenante de celui-ci.Le photographe n’entrevoit pas toujours lecapital futur d’une série, leur conservation par l’auteur n’est dès lors pas automatique. Le fonds photographique du magasin-atelier de Jean-Louis Donzallaz à Romont est un exemple de sauvegarde réussie. Les professionnels de Passeurs d’archives poursuivent aujourd’hui cette protection et valorisation.
Depuis les années 2000, la plupart des images se numérisent tout comme l’archive documentaire, avec les inconvénients de l’immatérialité. Stockage, système de gestion, lecture pérenne sont des défis dont il faut tenir compte, mais la difficulté principale se situe ailleurs: l’abondance des images. Le coût de l’argentique restreignait les prises de vues sur le terrain, le choix se faisait avant le déclenchement. Si cette sélection en amont limitait peut-être la richesse quantitative d’un fonds, elle permettait d’être plus pointue, et offrait une meilleure lisibilité. Les futures collections photographiques demanderont un important travail sélectif. Le stockage digital, très énergivore et coûteux n’autorise pas, sur le long terme, à tout conserver. Avant l’ère numérique, cette sélection incombait en grande partie à l’auteur de l’image, aujourd’hui, cette responsabilité revient à l’archiviste. Ce glissement peut-il avoir un impact sur nos documents historiques ou sur le regard que nous portons vers le passé?
Mélanie Rouiller, Responsable des publications