Editorial

Le cosmopolite Jean Tinguely mis à part, on ne voit guère d’autre artiste fribourgeois du XXe siècle qui ait suscité autant d’interrogations, inspiré autant d’exégètes, nourri autant de curiosité fervente qu’Armand Niquille. Cet état de fait est singulier car personne mieux que lui n’avait su avec plus de science maintenir l’artiste à l’arrière-plan de l’œuvre. Ni mieux se placer en retrait du monde où le dérisoire, toujours, fait escorte à la reconnaissance publique du talent. De cette pudeur découle sans doute la discrétion observée par le peintre au sujet de sa vie: n’ayant pas à cacher, il n’avait plus à dire, du moins en dehors de son art. Chez lui, l’œuvre est le tout.

Voici donc une publication consacrée au maître fribourgeois. Elle n’est bien sûr pas la première, tant s’en faut. Depuis 1966, pas moins de six ouvrages et catalogues d’ex- position ont paru – à peu près un livre par décennie – rappelant à chaque fois l’originalité de l’œuvre et relevant sa dimension exceptionnelle. A cette docte bibliographie viennent s’ajouter une biographie romancée et surtout Le veilleur de solitude, ce magnique orilège dans lequel l’artiste s’abandonne à des réflexions en mode poétique intimiste, sorte de fragments de pensées auxquels il faudrait, selon moi, toujours revenir avant d’aborder l’œuvre. Quant aux nombreux articles de journaux et de revues qui lui sont consacrés, ils complètent un ensemble d’écrits d’une étonnante diversité.

Ce cahier de Pro Fribourg réunit des auteurs choisis pour leur affnité élective avec l’œuvre du peintre et la qualité de leur regard. Ils sont historien de l’art, historien de la culture, théologien, ecclésiastique, artiste, écrivain. Si les études antérieures furent souvent menées par des représentants du premier cercle du peintre, volontiers thuriféraires dans le meilleur sens du terme et comme légitimés, pour certains, par une fréquentation assidue de l’atelier d’Armand Niquille au travail, celles des auteurs de ce cahier se veulent plus larges. Non pas que les analyses se fassent dans une moindre proximité car certaines contributions nous font découvrir les arcanes et savoir-faire de sa création. Au contraire, c’est grâce à la di- versité des points de vue que notre connais- sance s’enrichit et que l’œuvre se fait plus familière encore.

Il ne cessera de nous émerveiller, le maître au béret et à l’inimitable ironie en demi-teinte. Son parcours nous interpelle par sa rigueur et sa résistance aux courants puissants qui ont traversé l’art de son siècle. On objectera qu’à beaucoup fréquenter les maîtres anciens, il était fatal qu’il contractât la rude exigence formelle requise des artisans imagiers et qu’il lui restât dèle sa vie durant. Il n’empêche. Les objections, les malentendus, les caricatures des sceptiques, il semble les avoir devinés, avec son sourire entendu, alors que tout cela est aujourd’hui de l’ordre de l’évidence, tant l’œuvre est cohérente dans son entier. Il l’avait sans doute remarqué lui-même: une œuvre doit être arrêtée, close, pour que soit dégagé son vrai mouvement.

Armand Niquille a peint pour un public restreint. N’a-t-il pas été l’ultime arche subsistant du pont emprunté par les mystiques attirés par les signes incandescents de la foi? Au surplus, ses expositions personnelles ne furent pas très nombreuses de son vivant: on en compte sept, exclusivement à Fribourg. Et pourtant, après s’être usé les yeux à la clarté d’une lampe d’atelier (laquelle selon Mallarmé fait paraître le monde plus grand), cet artiste ingénument impudique et intrépidement moderne rayonne avec insistance. On lui prêterait volontiers, par analogie, le mot de Borges questionné sur les destinataires de son œuvre: «Pour moi, pour mes amis et pour adoucir le cours du temps».

Jean-Robert Gisler, président de la fondation Armand Niquille 

Sommaire

Niquille revisité
Jean-Robert Gisler
Paysage urbain
Les petites places d'Armand Niquille
Claude Reichler
Le dedans et le dehors
Claude Reichler
Fribourg, ville-paysage
Claude Reichler
La vue de Sorano, un autre Fribourg?
Walter Tschopp
Envergure
Armand Niquille, peintre vers un universel?
Claude Luezior
Religieux
Lorsque textes et images expriment un même mystère
Bernard Hodel
Le chemin de Croix du Christ-Roi
Paul Frochaux
Nature mortes
Au-delà du quotidien
Laurence Fasel
Petite histoire de la nature morte
Laurence Fasel
Les bouquets de fleurs, une période heureuse
Laurence Fasel
Autoportraits
Du miroir au mystère
Patrick Rudaz
L'autoportrait et l'histoire de l'art
Patrick Rudaz
L'arbre, un être humain comme les autres
Patrick Rudaz
Technique
La noblesse du métier
Marc Monteleone
La matière au service des formes et des couleurs
Marc Monteleone