Gare de Sugiez, le dernier recours de Pro Fribourg

 

Contexte :
La plupart des gares historiques situées sur la ligne Fribourg – Givisiez – Ins – Neuchâtel en territoire fribourgeois ont été fort heureusement conservées. La gare de Sugiez fait partie de cet ensemble caractéristique et homogène. Le long de la ligne inaugurée en 1898, s’érigent hôtels et buffets de gare, les gares elles-mêmes et leurs annexes, remises, halles aux marchandises, dépôts et parfois installations sanitaires. Sur tout le tracé, le même type de gare est construit : édifice avec au rez-de-chaussée salle d’attente et bureau et logement à l’étage pour le chef de gare. 

L’intérêt que représentent ces gares, de par leur unité architecturale, se situe non seulement au niveau des installations individuelles et locales, mais aussi au niveau de l’ensemble de la ligne : témoins du premier chemin de fer, du développement économique et urbain que cela engendra, elles forgent l’identité de la liaison Fribourg -Anet et de toute la région. 

La gare de Sugiez possède un ensemble des mieux conservé de la ligne : la gare, (1901) la halle aux marchandises (ou remise, 1902), une petite installation sanitaire plus tardive, et l’hôtel de la Gare (1909). 

La gare de Sugiez se situe d’ailleurs à un point de départ de nombreuses balades dans la région des trois Lacs et du Mont Vully : circuits viticoles, itinéraires cyclables et pédestres, croisières en bateau, événements tels le Slow up qui draine de grandes foules. Si cette région attire touristes et amateurs de bons vins, c’est bien par le caractère exceptionnel de son paysage, de ses villages, la qualité de son vignoble, de ses produits du terroir et de son patrimoine. Le bâtiment de la gare de Sugiez, la halle aux marchandises et le buffet de la gare font bien entendu partie de cet équilibre entre nature, patrimoine, lieu de vie et d’activités de loisirs, qui rend la région si attractive.  

Culture du bâti
Le patrimoine bâti est une composante de la culture du bâti de qualité et du développement durable. Ainsi, la Confédération, qui œuvre en faveur d’une culture du bâti de qualité, relève que cette dernière « conduit à des villes et villages où il fait bon vivre et qui peuvent répondre aux nouvelles exigences de la société, tout en conservant leurs particularités historiques » ( www.bak.admin.ch/bak/fr/home/baukultur/konzept-baukultur.html). La Confédération relève aussi que « L’attrait de la place touristique suisse en tant que destination de voyage tient essentiellement à la qualité exceptionnelle de ses paysages et de son tissu bâti » (https://www.seco.admin.ch/seco/fr/home/Standortfoerderung/Tourismuspolitik/tourismusstrategie_des_bundes/nachhaltigeentwicklung/baukultur.html). En préservant les particularités historiques des villes et villages suisses, on contribue aussi à une haute qualité de vie pour la société, on favorise le bien être des individus, on renforce les identités en créant des valeurs communes. La conservation de la substance historique est au cœur de l’attachement des gens à leur lieu de résidence. 

Au regard de ses considérations, le maintien de la gare de Sugiez semble une évidence. Sa démolition entraînerait une banalisation de la porte d’entrée du Vully, pour la réduire à sa seule gare utilitaire, créant un vide entre l’Hôtel de la gare et la halle aux marchandises.  L’effort consenti durant les travaux de construction de la nouvelle installation ferroviaire pour la conserver serait vain, si cette gare devait être aujourd’hui démolie. L’on constate en effet, que nouvelle et ancienne gare co-habitent, se mettant mutuellement en valeur. La gare de Sugiez mérite d’être rénovée comme celles de Belfaux village, Pensier ou encore Münchenwiller se trouvant sur la même ligne ou les gares-chalets de la Gruyère, un patrimoine commun. 

Un engagement non tenu
C’est d’ailleurs ce que pensaient encore les TPF en 2014, lorsque, à la suite d’une séance avec le SBC, ils établirent un inventaire de toutes leurs gares, où celle de Sugiez est classée comme bâtiment maintenu et affecté au domaine ferroviaire. Non seulement les TPF précisent alors que ce document revêt un caractère contraignant pour eux-mêmes, mais ils prévoient aussi que les gares qui devraient perdre leur affectation ferroviaire seraient mises en valeur soit par l’intermédiaire d’un concours d’idées ou par un MEP. 

Ces belles intentions se sont malheureusement évanouies lors de la mise à l’enquête du projet ferroviaire en décembre 2022.

Enchaînement des événements
En début d’année 2023, Pro Fribourg, s’est opposé à la démolition de la gare. S’agissant d’une installation ferroviaire, la demande est adressée directement à l’Office fédéral des transports, qui approuve les plans des TPF. Pro Fribourg, avec l’appui de Patrimoine Suisse, recourt alors auprès du Tribunal administratif fédéral, qui, s’il estime lui aussi « regrettable que les TPF se soient écartés de cet inventaire du point de vue de la préservation du patrimoine bâti » (Arrêt du 10 juin, p. 13, point 5.2, 2e paragraphe), rejette toutefois le recours de Pro Fribourg, une décision contestée aujourd’hui auprès du Tribunal fédéral. 

Avant qu’il ne soit trop tard, dernier recours pour sauver la gare de Sugiez
Première urgence : obtenir l’effet suspensif pour les travaux de démolition le temps de la procédure devant le Tribunal fédéral. Puis faire valoir les bases légales suivantes pour imposer la conservation du bâtiment litigieux et par conséquent annuler la décision du TAF :
LCdF art. 17 al. 1 et OCF, art. 3 al 1 : Les installations ferroviaires doivent être construites, exploitées et renouvelées conformément aux exigences du trafic et de la protection de l’environnement. Il y a lieu de tenir compte, dès la planification des exigences de l’aménagement du territoire, de la protection de l’environnement et celles de la nature et du paysage. 

LAT art. 17 prévoit que les localités typiques et les lieux historiques font partie des zones à protéger et qu’un bâtiment historique peut être valablement protégé par le fait qu’une institution publique en soit la propriétaire. Et dans ce cadre, la LPBC pose comme principe que la responsabilité première de la protection d’un bien culturel incombe à son propriétaire. 

Au recensement du canton de Fribourg, le bâtiment, dont la qualité et la rareté son relevés, bénéficie d’une note « c ». Au plan directeur cantonal, une valeur « c » au recensement signifie que l’objet visé est « représentatif par certains éléments essentiels dont la substance est conservée. 

Quant au RCU de la commune du Mont-Vully instauré en 2018, - en prévoyant des prescriptions particulières pour la gare et la halle aux marchandises de Sugiez en raison de l’historique des bâtiments -, il souligne et inscrit l’intérêt patrimonial des bâtiments.  

Combiné à ce qui précède, l’inventaire dressé par les TPF en 2014, constitue une base légale suffisante pour imposer la préservation de la gare de Sugiez. L’engagement pris par les TPF en 2014 a pu enduire en erreur les administrations, associations ou particuliers de solliciter des mesures de protections strictes. L’attitude des TPF, qui nient la valeur de leur propre obligation, constitue une violation du principe de la confiance, découlant de la bonne foi (Cst. Art. 9).

 

Conclusion :
Confiants de ce droit d’être entendu, de l’interprétation du caractère légal de la synthèse des TPF sur l’avenir de ses gares, et soucieux de tout mettre en œuvre pour la sauver, Pro Fribourg agit dans les buts qu’elle s’est fixés en 1964 déjà et qu’elle défend depuis lors. Et espérons que les générations futures n’auront pas à regretter sa démolition. 

Dans ce contexte, et en guise de conclusion, nous nous permettons de citer Victor Hugo, dont le pamphlet trouve aujourd’hui -dernière heure pour sauver la gare de Sugiez- écho, près de deux ans après sa publication. Alors qu’il y traitait de vandales les démolisseurs de monuments en France, nous reproduisons ce passage : « disons de haut au gouvernement, aux communes, aux particuliers, qu’ils sont responsables de tous les monuments nationaux que le hasard met dans leurs mains. Nous devons compte du passé à l’avenir » (Victor Hugo, guerre aux démolisseurs, 1832).